• Polémique indienne autour de Slumdog Millionaire

    Cinéma
    Par Dorothée
    Publié le 23/01/2009 11:02

    Alors que Slumdog Millionaire, le film de Danny Boyle, réjouit l'Occident, l'Inde voit rouge. Le film retrace l'histoire d'un jeune Indien illettré qui remporte le fameux million dans la version indienne de "Qui veut gagner des millions".

    Une association indienne représentant les résidents d'un bidonville porte plainte contre la vedette et le compositeur indiens du film, Anil Kapoor et A.R. Rahman. Par la voix de son représentant, Tapeshwar Vishwakarma, l'association reproche au film de salir l'image des habitants des bidonvilles et de piétiner la dignité des pauvres. Danny Boyle commençait très mal en utilisant le mot Slumdog, traduire par "chien de bidonville", dans le titre de son film.

    Pour l'avocat de l'association, Shruti Singh, le mot chien renvoie à la colonisation britannique qui oppressa les Indiens jusqu'en 1947. Il a ainsi déclaré à l'Indo-Asian News Service, que son client "ne s'attendait à rien de positif d'un réalisateur britannique, puisque ses ancêtres nous qualifiaient de chien". Le coréalisateur du film, Loveleen Tandon, a immédiatement assuré dans le Mail Today que "ce titre ne devait être pris ni pour une insulte, ni pour une offense".


    Un million de « Slumdogs » bientôt expulsés de Dharavi

    A Bombay, le bidonville où Danny Boyle a tourné son film doit être rasé et reconstruit. Un projet qui ne réjouit pas ses habitants.

    Dans le bidonville de Dharavi, à Bombay (Louis Villers).

    Avant de rentrer, Selwyn pousse légèrement le rideau de sa « maison » et y glisse un œil. Il ne veut pas que je voie sa femme en train de dormir. Toute la famille -cinq enfants et deux parents- dort dans cette pièce, de neuf mètres carrés, à même le sol. Angel, six mois, est suspendue au toit par un drap. Il y a une télé, un ventilateur, des ustensiles de cuisine.

    Dehors, les égouts passent au pied de la porte, emplissant la pièce d'une odeur lourde et nauséabonde. On ne voit pas la lumière du jour, tant la façade voisine jonchée de linges séchant est proche. Il fait chaud, il n'y a pas d'eau, ils sont entassés, les télévisions marchent en continu. Bienvenue à Dharavi, le « plus grand bidonville d'Asie », au cœur de Bombay.

    Sur son lieu de travail, quelques minutes plus tard, Selwyn et ses collègues rejoignent leur machine à coudre. Il y en a une dizaine dans ce petit local sombre, et même en ce mois de janvier, il fait bien trente degrés à l'intérieur. Ils travaillent douze heures par jour, n'ont pas le droit à un seul retard, à un seul jour de repos et gagnent à peine quarante euros par mois. Mais ils ne se plaignent pas, ils savent qu'ils ont de la chance d'avoir cet emploi. Les sacs de cuir qu'ils fabriquent seront vendus, à quelques centaines de mètres du local, à M. Kale, propriétaire d'une petite boutique de cuir qui se chargera de les exporter.

    Dans le bidonville de Dharavi, à Bombay (Louis Villers).

    Le fils de Selwyn parcourt les rues toute la journée, véritables montagnes de déchets, pour ramasser tous types de morceaux de fer : clous, copeaux, débris. Il les revendra quelques roupies à un ferrailleur. Sa mère, elle, s'est installée une petite nappe à même le sol, non loin de la gare de Mahim, sur laquelle elle vend des fruits. Tous rêvent d'échappées, ils y seront forcés.

    L'opportunité du millénaire

    « L'opportunité du millénaire ». Dans tous les grands journaux, des publicités la vantaient. Le gouvernement a décidé de vendre Dharavi, terrain de 215 hectares occupé par un million de personnes, à cinq promoteurs étrangers chargés de reconstruire entièrement la zone : nouveaux immeubles, écoles, hôpitaux, égouts, assainissement des eaux…

    Dans moins de sept ans, Selwyn et toute sa famille se verront offrir un appartement de 25 mètres carrés, avec électricité et eau courante. Ils ne vivront plus au milieu des mouches, des rats et des scorpions. L'opportunité du millénaire. Promesse d'un avenir meilleur. Et pourtant, rares sont les habitants de Dharavi à souhaiter ce plan.

    Dans le bidonville de Dharavi, à Bombay (Louis Villers).

    Le gouvernement s'est pourtant engagé à reloger tous les habitants. Les 57 000 familles, soit 300 000 personnes. « 300 000 ? Mais nous, nous sommes un million ! », s'exclame Ganesh, propriétaire engagé d'une mercerie. Selon la National Slum Dwellers Federation (NSDF), le bidonville de Dharavi compte entre 600 000 et un million d'habitants. Connaître leur nombre exact est impossible quand l'on sait que des centaines de personnes débarquent à Dharavi chaque jour.

    Pour compliquer la tâche, pour chaque programme de relogement, cinq ou six personnes différentes deviennent étrangement propriétaires d'un taudis, en espérant récupérer un nouvel appartement. Les autorités sont donc, à juste titre, très vigilantes. Factures d'électricité, cartes de rationnement, amendes, accords communautaires et recensements deviennent donc de fragiles preuves de propriété. Dans tous les cas, aucune personne arrivée après 1995 ne pourra être reconnue « habitante de Dharavi », une injustice contre laquelle se battent activement les associations.

    Une économie menacée

    En réalisant ce plan, c'est toute l'économie du bidonville qui sera anéantie. Selon la Société de promotion des enquêtes territoriales (SPARC), Dharavi génère un chiffre d'affaires annuel de plus 340 millions d'euros. Les gens vivent sur leur lieu de travail, la famille de Selwyn en est un bon exemple.

    Dans le bidonville de Dharavi, à Bombay (Louis Villers).

    Dharavi n'est pas une « cité dortoir », mais une véritable usine. Même si les conditions de travail sont très difficiles, même s'il n'y a aucune protection des salariés, tout le monde trouve un emploi, trouve de quoi survivre avec n'importe quel type de travail. Alors que se passera-t-il si le gouvernement offre à chacun un petit appartement ?

    Toutes les petites usines seront rasées et le propriétaire d'un local de 80m², employant parfois jusqu'à quinze personnes, se retrouvera avec un petit appartement de 25 m². Il n'aura plus qu'à acheter les 59 mètres carrés au prix du marché -option à oublier dans une ville qui compte le cinquième quartier d'affaires le plus cher au monde. Ruiné, il devra quitter Dharavi, laissant derrière lui quinze employés au chômage.

    Même si Mukesh Mehta, l'architecte responsable du projet de développement de Dharavi, assure que des « opportunités d'espaces industriels » seront offertes, les propriétaires restent sceptiques. Aucun habitant des bidonvilles ne saurait vivre au septième étage d'un immeuble. Ils sont en permanence dans la rue, au pied de leur porte, à faire mille et un petits boulots qui leur apportent l'assiette de riz du soir. Aucun d'entre eux ne restera à Dharavi.

    Une habile manière de faire fuir les habitants

    Finalement, Dharavi deviendra un quartier résidentiel pour les classes moyennes. Ce projet de redéveloppement n'est qu'une habile manière de faire fuir tous les habitants.

    Depuis 1936, sept plans de réhabilitation ont déjà été menés à Dharavi, et à chaque fois, les habitants du « slum » ont revendu leurs appartements et ont recréé un bidonville. La plupart de ces appartements sont laissés vacants aujourd'hui. Dans ce quartier si autonome, entièrement contrôlé par la mafia, ce plan est un échec assuré.

    Dans le bidonville de Dharavi, à Bombay (Louis Villers).

    De nombreuses questions restent floues. A qui reviendront les titres de propriétés ? A chaque habitant ? Impossible, tant la mafia est implantée. A la mafia ? Evidemment, non. Comment faire pour que les habitants ne revendent pas leurs appartements ? Comment préparer l'exode massif qui se profile ? Le déplacement de milliers de personnes dans un autre endroit de Bombay pose, lui aussi, de nombreux problèmes : rejoindront-ils les bordures de voies ferrées, zone extrêmement dangereuse ? Auront-ils accès à l'éducation, à la santé ? Les moyens de transports seront-ils adaptés ?

    L'oscar à Hollywood ne retiendra pas les bulldozers

    Quatre Golden Globes, oscar du meilleur film parmi huit récompenses, « Slumdog Millionnaire » sort Dharavi de l'ombre. Accoudé à la table d'un café chic de Bombay, Irrfan Khan, l'un des acteurs majeur du film, me fixe en soupirant.

    Il ne pense pas que le film puisse changer le cours des événements. Il a visité ces ruelles, décors d'enfance de Latika et Jamal. Il ne sait pas si, dans trois ou quatre ans, elles ne seront plus que des images d'archives. Il a goûté à cette joie qui vous prend au tripes quand vous parcourez ces rues, quand vous rencontrez ces habitants qui ont une envie extraordinaire d'avancer malgré leur dénuement.

    Face aux puissances financières, les habitants de Dhavari n'ont aucune chance. Mais ils ont, ce qui, toujours, les sauvera : la joie, la débrouillardise et la volonté.

    Dans le bidonville de Dharavi, à Bombay (Louis Villers).

    Photos : dans le bidonville de Dharavi, à Bombay (Louis Villers).

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    Inde: un bidonville poursuit en diffamation le film "Slumdog Millionaire"

    NEW DELHI (AFP) — Le film britannique "Slumdog Millionaire", qui fait un triomphe en Occident, est poursuivi en diffamation par une association indienne de résidents d'un bidonville qui se sent salie par l'image véhiculée par le long-métrage, rapportent jeudi des médias.

    Tapeshwar Vishwakarma, représentant une association caritative d'habitants de bidonvilles de l'est de l'Inde, a déposé plainte à Patna (capitale de l'Etat du Bihar) contre la vedette indienne Anil Kapoor et le compositeur de la bande originale, A.R. Rahman, au motif notamment que le film "violerait" les droits de l'Homme et la "dignité" des pauvres.

    Dans le journal Times of India, M. Vishwakarma a déclaré n'avoir pas du tout apprécié l'expression "Slumdog" ("chien de bidonville") pour décrire les dizaines de millions de résidents de bidonvilles en Inde, en particulier ceux du plus grand d'Asie, Dharavi à Bombay, où a été tourné le film du Britannique Danny Boyle.

    "M. Vishwakarma a dit clairement qu'il ne s'attendait à rien de positif venant d'un réalisateur britannique, puisque ses ancêtres nous qualifiaient de +chiens+", a ajouté son avocat Shruti Singh à l'agence de presse Indo-Asian News Service (IANS), en référence à la douloureuse colonisation britannique de l'Inde jusqu'en 1947.

    Alors que l'audience judiciaire à Patna est programmée le 5 février, le coréalisateur de "Slumdog Millionaire", Loveleen Tandon, a déjà assuré dans le Mail Today que "ce titre ne devait être pris ni pour une insulte, ni pour une offense".

    En pleine mode en Occident à l'égard de l'Inde, le long-métrage plaît beaucoup en Europe et aux Etats-Unis. M. Boyle s'était dit impressionné par "la résilience à couper le souffle" des pauvres de Bombay.

    Le film a été primé quatre fois aux Golden Globes américains et pourrait figurer dans la sélection des Oscars annoncée ce 22 janvier. "Slumdog Millionaire" raconte l'histoire d'un jeune Indien illettré remportant contre toute attente la version locale du jeu télévisé "Qui veut gagner des millions".

    Copyright © 2009 AFP

     


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