• Histoire de l'Inde

    Histoire de l’Inde

     

    par M.O.A 

     

    Avant toute chose, il faut faire attention avec l'emploi du terme "Inde". Ce terme désigne à la fois l'actuelle Union indienne ("Bharat" en hindi) république née en 1947 mais aussi un sous-continent qu'on peut appeler l'Asie du Sud et une civilisation dépassant largement le cadre de ce pays et comprenant le Pakistan, le Bangladesh, le Népal et le Sri Lanka voire l'Afghanistan.

     

    Au cours de son histoire, le sous-continent a très rarement été uni dans son ensemble sous une même entité politique, il faut donc le plus souvent distinguer l'état et la civilisation qui ne se superposent pas nécessairement.

    Ce qui caractérise l'Histoire de l'Inde de l'Antiquité jusqu'au XVIIIe siècle, ce sont les invasions. Toutes ces invasions, sauf la dernière la britannique, viennent d'Asie Centrale : des envahisseurs, souvent nomades, franchissant la passe de Khyber (reliant l'Afghanistan au Pakistan), ont sans cesse pénétré en Inde.

    Le terme "Inde" vient du mot persan "Hind" qui est dérivé du nom du fleuve Indus (fleuve du Pakistan) qui était la frontière entre la Perse et l'Inde ancienne. Le fleuve Indus s'appelle Sindhu en sanscrit, terme qui se retrouve dans le nom de la province du Sud du Pakistan : le Sind. Les peuples iraniens à l'ouest de ce fleuve ont donc appelé les habitants de la rive est : les Hindous, sans connotation religieuse au départ. Ensuite avec l'islamisation de l'Inde, le terme "Hindous" a désigné les gens pratiquant la religion brahmanique. De là, on a appelé ce pays "Hindustan" (le pays des Hindous, en persan) mais les Hindous appellent leur pays "Bharat", nom d'un héros légendaire qu'on retrouve dans l'épopée du "Mahabharat". L'actuelle Union indienne a pour nom officiel "India" en anglais et "Bharat" en hindi

     

    La première civilisation prestigieuse en Inde est celle dite de Mohenjo-Daro et de Harappa (Pakistan) qui fleurit sur les bords de l'Indus au IIIe millénaire avant J.-C. mais dont les origines remontent à la civilisation de Mehrgarh (Pakistan) datant du VIIIe millénaire avant J.-C.. Cette civilisation est sans doute liée aux civilisations du Moyen Orient comme celle des Elamites. C'est une brillante civilisation urbaine mais elle s'effondre à cause de catastrophes naturelles, sans soute l'assèchement de grands cours d'eau. Elle va être une proie facile pour les premiers grands envahisseurs de l'Inde : les Aryens.

     

    Les Aryens sont un peuple (et non une race) de langue indo-européenne comme les Grecs, les Romains, les Celtes et les Germains. Ils viennent d'Asie Centrale, ils parlent le sanscrit qui est en quelque sorte le frère aîné du grec et du latin, ont pour religion le védisme, ancêtre de l'hindouisme et proche de la religion gréco-romaine, et comme les autres peuples indo-européens divisent la société en trois ordres : les prêtres, les guerriers et les travailleurs (comme dans la France d'Ancien Régime). Ainsi donc les éléments qui ont constitué la base de la civilisation indienne : le sanscrit (qui a donné toutes les langues d'Inde du Nord), le védisme (à l'origine de l'hindouisme) et le système des castes sont d'origine étrangère. Les Aryens arrivent en Inde à partir de 1500 avant J.-C. et conquièrent l'Inde progressivement grâce à leur maîtrise du fer et du cheval. Ils se mélangent avec les populations locales, les Dravidiens, dont les langues sont encore présentes dans le sud de l'Inde. Les élites dravidiennes se fondent avec les envahisseurs et leurs deux religions se mélangent aussi pour donner l'hindouisme actuel : Shiva (avec le culte de son  taureau et de son phallus), la déesse mère, Krishna ou Ganesha sont des divinités dravidiennes. On pense d'ailleurs que les peuples de la civilisation de l'Indus adoraient un dieu ascète avec un taureau qu'on peut assimiler à Shiva. De plus, le fait qu'on retrouve des peuples de langues dravidiennes au Pakistan (les Brahouis) laisserait penser que les peuples de l'Indus étaient des Dravidiens. D'autres Aryens ne trouvant pas de place en Inde se dirigent plus à l'ouest et fondent l'Iran ("Aryana", le pays des Aryens) dont la langue et la religion antiques sont très proches de celles de l'Inde.

     

    L'Iran lui est unifié autour d'une ethnie, les Perses (de la province du Fars), qui fondent un grand empire sous la domination de la famille des Achéménides à partir de 550 avant J.-C. avec Cyrus II le Grand qui soumet l'ethnie rivale, les Mèdes. Le roi des rois (shahenshah) Darius Ier s'empare du bassin inférieur de l'Indus en 518 avant J.-C.. Il apporte avec lui un système d'écriture araméenne qui est à l'origine de tous les alphabets du sous-continent indien. C'est le début de l'Histoire pour l'Inde car les inscriptions de la civilisation de l'Indus n'ont toujours pas été déchiffrées. C'est aussi au VIe siècle avant J.-C. que naissent en Inde le bouddhisme et le jaïnisme.

     

    Le premier contact de l'Inde avec l'Occident date de l'expédition d'Alexandre le Grand qui conquiert l'empire perse achéménide et qui atteint le Panjab dont il vainc le roi, le colossal Poros, en 327 avant J.-C.. Le mot Panjab signifie d'ailleurs "cinq rivières" en persan, ces rivières sont les affluents de l'Indus. Un royaume hellénistique avec des colons grecs installés par Alexandre en Afghanistan subsistera d'ailleurs et atteindra son apogée avec le roi grec converti au bouddhisme, Ménandre (roi de 160 à 135 avant J.-C.), qui domine le Nord de l'Inde et l'Afghanistan. C'est dans cette région que naîtra la synthèse entre art grec et art indien qui produira les premières représentations anthropomorphiques du Bouddha et des dieux hindous influencées par les canons de l'art grec. Cela explique les ressemblances dans les visages entre les statues grecques antiques et les statues de Bouddha et des dieux hindous encore aujourd'hui.

     

    Pendant qu'Alexandre atteint l'Inde, un empire se forme en Inde du Nord, l'empire Maurya, qui connaît son apogée sous le règne d'Ashoka (273-232 avant J.-C.). Ashoka a conquis toute l'Inde géographique (moins le Kérala et le Tamil Nadu mais l'Afghanistan en plus). Converti à la non-violence après sa violente conquête du Kalinga (actuel Orissa), il organise bien son  empire et promeut le bouddhisme. Son emblème, le pilier aux quatre lions, est actuellement l'emblème de l'Union indienne. La philosophie d'Ashoka nous est connue grâce à des colonnes gravées qui n'ont été déchiffrées qu'en 1837 par un Britannique.

    L'empire Maurya s'effrite après Ashoka et disparaît en 185 avant J.-C.. Le général brahmane, Shunga, fonde une dynastie portant son nom, qui durera jusqu’en 75 avant J.-C., qui revalorise les dieux védiques mais qui ne peut maintenir l’unité de l’Inde. Elle va alors connaître de nouvelles invasions venues d'Asie Centrale : celle des Scythes Sakas au Ier siècle avant J.-C. puis celle des Scythes Kouchanes au Ier siècle de notre ère. En 127 avant J.-C., un Kouchane, Kanishka, fonde, à Peshawar, un empire puissant, à cheval sur l'Inde du Nord et l'Asie Centrale. Kanishka, comme Ashoka, promeut le bouddhisme et favorise l'art gréco-bouddhique. Son empire domine la route de la soie et c'est ainsi que le bouddhisme se répand en Chine. L'esthétique indo-grecque des statues de Bouddha se maintient dans la statuaire bouddhique chinoise et se répand ainsi dans le monde sinisé jusqu'au Japon qui adopte le bouddhisme à partir du VIe siècle.

     

    En 320 de notre ère, une dynastie nationale émerge dans le Nord de l'Inde, celle des Gupta qui survivra jusqu’en 535. Comme les Maurya, ils viennent du Maghada (Bihar actuel) et conquièrent toute l'Inde du Nord (vallée du Gange et de l'Indus). Le règne des Gupta correspond à l'age classique de la civilisation indienne antique et à la reconquête de l'hindouisme sur le bouddhisme même si ce dernier est protégé par les empereurs Gupta.

    Au milieu du Ve siècle, l'empire Gupta s'effrite face à de nouveaux envahisseurs venus d'Asie Centrale, les Huns Blancs qui eux sont des Turcs à la différence des Scythes indo-européens. A la même époque, un autre Hun, Attila, attaque l'Europe. Les Huns, d'abord pillards, s'indianisent rapidement et se convertissent à l'hindouisme pour donner le groupe des Rajpoutes, caste guerrière par excellence. Les Rajpoutes ont longtemps conservé le titre de "hunna" marquant leurs origines, certains se sont ensuite convertis à l'Islam comme le clan Bhutto.

    Harsha (606-647) reconstitue un empire sur l'Inde du Nord et promeut lui aussi le bouddhisme, c'est d'ailleurs pour cela que son règne est connu par le récit du pèlerin bouddhiste chinois Hiuantsang qui le dépeint comme le roi idéal.

     

    Il ne faut pas oublier que pendant ce temps de brillants empires émergent dans le Sud de l'Inde comme les empires Pallava (du IVe au IXe siècle) et Chola (du Xe au XIIe siècle) qui répandent la civilisation indienne en Asie du Sud-Est. L'hindouisme et le bouddhisme se développent dans cette région. En Indochine, l'hindouisme a disparu au profit du seul bouddhisme mais il a laissé des traces comme le temple hindou d'Angkor Vat (XIIe siècle), au Cambodge, qui est le plus grand temple du monde. De plus, tous les alphabets indigènes d'Asie du Sud-Est sont dérivés des alphabets indiens. Hindouisme et bouddhisme ont disparu de Malaisie et d'Indonésie devenues musulmanes, sauf l'île de Bali où l'hindouisme est encore pratiqué. Mais le malais/indonésien comporte beaucoup de mots venant du sanscrit et le plus grand monument bouddhique du monde, le temple bouddhique de Borobudur (VIIIe siècle), est situé sur l'île de Java. De plus, les épopées indiennes du "Ramayan" ou du "Mahabharat" sont encore présentes dans la culture populaire d'Asie du Sud-Est, en particulier le théâtre.

     

    A la mort de Harsha, son empire s'est divisé en un grand nombre de petits royaumes rajpoutes passant leur temps à se faire la guerre. L'Inde du Nord va donc être une proie facile pour une nouvelle série d'invasions qui vont marquer profondément l'Inde : les invasions musulmanes.

    Dès 637, une expédition maritime arabe a lieu sur la côte ouest de l'Inde (le Malabar) mais elle n'aboutit qu'à la fondation de comptoirs. Par contre en 712, un jeune chef arabe, Mohammed Ibn Qasim, conquiert le Sind au nom du calife omeyade de Damas, c'est le début de la pénétration de l'Islam en Inde qui est contemporaine de l'invasion arabe en Espagne. Mais les Arabes perdent vite leur statut de dominants dans le monde musulman au profit d’un peuple qu’ils ont converti à l’islam : les Turcs.

    Justement entre 1000 et 1026, le Turc Mahmud de Ghazni (Afghanistan) lance dix-sept raids meurtriers dans la vallée du Gange et conquiert le Panjab. Toute la vallée de l'Indus (l'actuel Pakistan) fait désormais partie du Dar-al-Islam et Lahore est fondée en 1022 par Mahmud de Ghazni qui en fait sa capitale. La vallée de l’Indus est ainsi en relation avec le reste du monde musulman et l’ouest en général. Cela permet le départ vers l’ouest de castes d’artistes ou de petits artisans vivant sur la rive orientale de l’Indus, à l’origine du peuple Rom (Tsiganes) parlant des langues dérivées du dialecte rajasthani.

     

    Les invasions musulmanes ne sont pas bien différentes des invasions précédentes, nous avons encore une fois des peuples nomades d'Asie Centrale à savoir les Turcs et les Afghans (comme les Aryens, les Scythes et les Huns) passant par la passe de Khyber et conquérant l'Inde grâce à leur supériorité militaire. La principale différence est que les Turcs et les Afghans ne vont pas abandonner leur religion en pénétrant en Inde, au contraire comme les Aryens, ils vont la garder et vouloir la répandre. Cette religion c'est l'Islam qui va être la religion des maîtres de l'Inde du Nord jusqu'au XIXe siècle. Ces envahisseurs sont également porteurs d'une culture iranienne qu'ils vont conserver, ils apportent avec eux le persan et l'art iranien qui vont marquer profondément l'Inde. Le persan va être langue officielle et littéraire de l'Inde du Nord jusqu'au XIXe siècle et l'art iranien va marquer l'art indien durablement (le Taj Mahal est caractéristique de l'art iranien). Avec les invasions mongoles, beaucoup d'Iraniens trouveront refuge en Inde.

     

    En 1192, l'Afghan Mohammed de Ghor (Afghanistan) qui a remplacé les descendants de Mahmoud de Ghazni (les Ghaznévides) conquiert toute l'Inde du Nord en battant le rajpoute Prithiviraj Chauhan. Le sultanat de Delhi est ainsi fondé en 1206 avec l'agrément du calife de Baghdad et ne va pas cesser de s'étendre. Delhi devient, et pour longtemps, la capitale de l'Inde. Le premier sultan de Delhi et successeur de Mohammed de Ghor, Qutub-ud-Din Aibek (1206-1210), y fait d'ailleurs construire la mosquée Quat-al-Islam (force de l'islam) avec le gigantesque Qutub Minar haut de 80 mètres pour célébrer la victoire de l'Islam en Inde. Le troisième sultan de Delhi, Iltumish (1211-1236), repousse-lui la première invasion des Mongols descendants de Gengis Khan en Inde (les autres invasions mongoles échoueront aussi) et à sa mort confie l'empire à sa fille Razia. Cette première dynastie est appelée dynastie des esclaves (mamelouks) car ses membres sont issus d'esclaves turcs recrutés pour la guerre comme la dynastie du même nom régnant à la même époque en Egypte. Plusieurs dynasties suivront jusqu'en 1526 : Khalji, Tugluk, Sayid et Lodi (les deux premières familles sont turques, les deux dernières afghanes) et le plus souvent les changements de dynasties et les successions se font dans le sang.

     

    Cette invasion signe la fin du bouddhisme en Inde déjà sérieusement affaibli par le retour de l'hindouisme. Les statues de Bouddha sont brisées, les monastères détruits et les bonzes (à robe jaune) tués ou dispersés par les conquérants musulmans mais les régions anciennement à majorité bouddhiste forment aujourd'hui les régions à majorité musulmane du sous-continent, à savoir le Pakistan et le Bangladesh. Le bouddhisme né en Inde y a disparu mais est resté présent au Sri Lanka (converti par des missionnaires d'Ashoka et parlant une langue dérivée du sanscrit, le cinghalais) et s’est répandu en Asie Orientale faisant de Bouddha "le plus grand fils de l'Inde" comme le disait Nehru. Le bouddhisme s'est néanmoins maintenu dans les régions himalayennes de culture tibétaine et un mouvement néo-bouddhique s'est développé autour du leader des Intouchables et père de la constitution indienne, Ambedkar, à partir des années 1950.

     

    L'empereur Ala-ud-din Khalji (1296-1316) repousse d’autres invasions mongoles et atteint la pointe du Comorin, toute l'Inde fait désormais partie du Dar-al-Islam. L'homme chargé de cette conquête n'est d'autre que l'amant de l'empereur, Malik Kafur, un eunuque converti à l'islam. Cet empire atteint son apogée sous Mohammed Ibn Tugluk (1327-1351) qui repousse une nouvelle invasion mongole et qui organise bien son empire en abandonnant Delhi (dont il déporte la population) au profit de Daulatabad (la ville de l’Etat, en persan, capitale qui sera vite abandonnée) au centre de l'Inde pour mieux le maîtriser. Il crée même une monnaie fiduciaire mais celle-ci est vite imitée ce qui provoque sa ruine. Mohammed Ibn Tugluk a parmi ses collaborateurs le célèbre explorateur marocain Ibn Batouta.

    Cet empire est trop vaste et se divise en de multiples royaumes musulmans ou hindous. C'est dans les petits royaumes musulmans successeurs de l'Inde du Sud pour la plupart chiites que se développent l'ourdou (mélange de persan et de hindi écrit en alphabet arabe) et c'est du Sud aussi que naît une volonté de maintenir l'organisation politique hindoue avec l'empire de Vijayanagar fondé en 1336 dans la pointe sud de l'Inde et qui résiste aux royaumes musulmans jusqu'en 1565.

    Le sultanat de Delhi,  victime de l'invasion du Turc Tamerlan qui détruit Delhi en 1398, ne correspond plus qu'à un petit état autour de Delhi au début du XVIe siècle. Tamerlan laisse un gouverneur à Delhi qui est à l'origine de la dynastie des Sayids mais son successeur Shah Rukh renonce à toutes prétentions sur l'Inde, qu'un autre descendant de Tamerlan saura réclamer.

     

    En 1526 justement, un descendant de Tamerlan, chassé de Samarkand mais devenu roi de Kaboul, Babar (le tigre), bat la dynastie afghane des Lodi et s'empare de Delhi, il fonde ainsi l'empire moghol (déformation de mongol car Tamerlan se disait descendant de Gengis Khan) qui va se maintenir officiellement jusqu'en 1858. Babar a pourtant conquis l'Inde par défaut car il n'a jamais aimé ce pays et ne rêvait que de rentrer à Samarkand

    L'empire de Babar manque de s'effondrer sous le règne de son fils Humayun (1530-1556) qui passe la plus grande partie de sa vie (de 1540 à 1555) en exil à la cour de l'empereur de Perse car l'Afghan Sher Shah Suri l'a chassé d'Inde. Ce dernier met en place une administration très efficace qui sera reprise par les Moghols. Humayun ne revient qu'à la mort de Sher Shah Suri mais meurt d'une mauvaise chute dans sa bibliothèque l'année suivante.

    Son fils, Akbar (1556-1605), n'a que 14 ans quand il devient empereur mais est un grand guerrier qui conquiert toute l'Inde du Nord et qui fait preuve d'une grande tolérance religieuse à l'égard des Hindous. Bien qu'illettré, Akbar se passionne pour la théologie et s'intéresse à toutes les religions pour créer une sorte de culte de sa personne qui se manifeste aussi par de somptueuses constructions comme la nouvelle capitale Fatehpur Sikri, sur le lieu où le sage soufi Sikri lui avait prédit la naissance d'un fils, le futur Jahangir. Akbar pose les bases de la puissance moghole. Bien que Turc, il s'entoure de Persans pour son administration mais il fait appel à des Hindous en particulier les Rajpoutes, excellents guerriers, avec qui il conclut des alliances matrimoniales. Ces principes seront repris par ses successeurs.

    Jahangir (1605-1628) après s'être révolté contre son père à la fin du règne de ce dernier, laisse le pouvoir à sa femme Nur Jahan et à son beau-père qui devient grand-vizir.

    Son fils, Shah Jahan (1628-1658) poursuit la conquête des royaumes musulmans d'Inde centrale (Golconde et Bijapur), construit une nouvelle capitale à Delhi (Shahjahanabad, "la ville de Shah Jahan" en persan) qui constitue ce qu'on appelle Old Delhi et est surtout célèbre pour son mausolée à Agra, le Taj Mahal qu'il a fait construire pour lui et non pas spécialement pour sa femme Mumtaz Mahal.

    L'empire moghol atteint son apogée territorial sous Aurangzeb, qui a détrôné son père Shah Jahan en 1658 et tué son frère Dara Sikoh pour devenir empereur. Il conquiert toute l'Inde mais ruine l'empire par le coût de ses conquêtes et sa politique d'intolérance religieuse dont il se repent à la fin de sa vie. Il faut d'ailleurs relativiser l'intolérance religieuse d'Aurangzeb dont l'armée était composée de plus d'un tiers d'Hindous (des Rajpoutes) et qui a fait construire des temples hindous pour ses fidèles.

    A la mort d'Aurangzeb en 1707, l'empire survit nominalement mais se divise en de multiples royaumes indépendants de fait. Par exemple, les gouverneurs de l'Awadh (avec pour capitale Faizabad puis Lucknow) et de Haiderabad, chiites tous les deux alors que les Moghols sont sunnites, conservent leur allégeance à l'empereur siégeant à Delhi, mais sont de fait indépendants et font beaucoup pour la culture musulmane en langue ourdou.

     

    Les dernières invasions musulmanes venant d'Asie Centrale ne sont pas concluantes. En 1739, Nadir Shah l'empereur de Perse (d'origine turque lui aussi), prend Delhi, en emportant avec lui le trône du paon, le trône des Moghols qui est maintenant au palais impérial de Téhéran. Cette invasion est sans suite et Nadir Shah rentre en Perse en laissant des souverains moghols affaiblis.

    Les ultimes invasions sont celles du premier roi d'Afghanistan, Ahmad Shah Durrani (1747- 1773), qui fut lieutenant de Nadir Shah. Il mène plusieurs raids meurtriers contre l'Inde mais sans pour autant la conquérir : l'Inde et l'Afghanistan ont dorénavant des destins séparés.

    Il faut dire que les Afghans se sont heurtés à deux nouvelles puissances en Inde : les Sikhs dominant le Panjab et les Marathes hindous dominant l'Inde centrale et contrôlant l'empereur moghol.

    Cette situation est une aubaine pour les envahisseurs européens.

     

    Vasco de Gama débarque en Inde en 1498, les Portugais sont donc les premiers Européens à s’installer en Inde en particulier sur la côte du Malabar. Ils fondent des comptoirs comme celui de Goa mais aussi un comptoir dans une bonne baie (bom baia en portugais) qui devient Bombay qu'ils cèdent aux Anglais en 1661. Les Portugais rencontrent d’autres chrétiens, les Chrétiens du Malabar, présents depuis le IVe siècle, de rite nestorien et utilisant le syriaque comme langue liturgique. Les Portugais les rattachent à l’autorité de Rome et envoient des jésuites pour essayer de convertir les empereurs moghols.

    Les Danois ont aussi des comptoirs, à partir desquels ils développeront l’imprimerie en Inde, mais qu’ils vendront aux Britanniques en 1845 tout comme les Néerlandais.

    Les premiers grands conquérants européens de l'Inde sont les Français qui se rendent maîtres de toute l'Inde du Sud au milieu du XVIIIe siècle grâce à la Compagnie Française des Indes Orientales dirigée par Dupleix. Mais le roi de France Louis XV craint une politique trop coûteuse et renonce à ses conquêtes : l'Inde aurait pu être française.

    Les Britanniques déjà présents à Madras, Bombay et Calcutta et maîtres du riche Bengale depuis 1757 vont d'abord se débarrasser des Français en 1763. Ils leur laissent leurs cinq comptoirs (Pondichéry, Yanaon, Karikal, Mahé et Chandernagor) mais les mettent hors d'état de nuire. Jusqu'à la Révolution française, la France tente encore de protéger l'indépendance des états indiens. Elle soutient son allié le sultan de Mysore, Haider Ali, puis son fils Tipoo Sahib qui résiste aux Anglais jusqu'en 1799. Mais avec la ruine de la marine française causée par la Révolution, les Britanniques sont désormais libres d'agir et 1819 toute l'Inde centrale est conquise après leur victoire sur les Marathes. Les derniers états indépendants signent des traités d'allégeance à la couronne britannique et l'empereur moghol n'est plus qu'un pantin sans pouvoir entre les mains des Britanniques. Les Britanniques tentent de conquérir l'Afghanistan en 1842 mais ils subissent un humiliant échec et leur armée ne comptera que quelques survivants, ils se garderont bien à l'avenir de vouloir annexer l'Afghanistan. Ils conquièrent par contre le Sind en 1843 et le Panjab en 1849. Toute l'Inde géographique est désormais anglaise.

     

    En fait, ce n'est pas le gouvernement britannique qui gère l'Inde mais une compagnie commerciale, la East India Company, fondée en 1600 et dont le premier comptoir indien date de 1612, qui pille l'Inde et qui y cultive l'opium pour le revendre en Chine contre du thé qui n’est pas encore produit en Inde et à Ceylan. Après l'abolition de l'esclavage en 1833, la Compagnie recrute en Inde des travailleurs pour remplacer les esclaves noirs dans leurs colonies de l'Océan Indien ou des Antilles. Les conditions de transport et de travail des coolies sont comparables à celles des esclaves et ce trafic ne prendra fin qu'en 1924 grâce aux protestations de Gandhi qui a défendu les Indiens d'Afrique du Sud.

    Certains territoires sont directement administrés par la Compagnie, d'autres relèvent de princes vassaux (Haiderabad, Cachemire, Awadh, Mysore, états rajpoutes du Rajasthan) mais les Britanniques n'hésitent pas à se saisir de territoires quand il n'y a plus d'héritiers comme l'Awadh en 1856.

    Ce système s'écroule avec la révolte des cipayes (du mot persan "sipahi" voulant dire "guerrier" et qui a donné nos spahis), soldats indiens de la Compagnie en 1857 qui veulent chasser les Britanniques mais qui échouent finalement. Les soldats indiens de la Compagnie, généralement issus de la vallée du Gange avaient conquis toute l'Inde pour les Britanniques qui eux avaient les postes d'officiers. Ils ne supportaient plus l'arrogance des Britanniques et un incident met le feu aux poudres. Le nouveau fusil Enfield dispose de cartouches dont l'étui doit être déchiré avec les dents mais qui est enduit de graisse de porc (animal interdit pour les Musulmans) ou de vache (animal sacré pour les Hindous) or les soldats indigènes sont hindous ou musulmans. Ce scandale est la goutte d'eau qui fait déborder le vase et la vallée du Gange est vite aux mains des insurgés qui massacrent les Britanniques et leur famille. Delhi est prise et l'empereur Bahadur Shah Zafar, jusque là seulement préoccupé par la poésie ourdou, est rétabli dans ses fonctions. Les Britanniques font appel aux Panjabis (en grande partie Sikhs et qui deviendront le fer de lance de la nouvelle armée britannique des Indes), qui veulent venger leur défaite de 1849 contre les actuels révoltés. Grâce à eux, les Britanniques reprennent le contrôle de la situation en 1858 malgré le courage des insurgés comme la reine de Jhansi qui meurt au combat.

    Le dernier empereur moghol Bahadur Shah Zafar est déporté en Birmanie pour avoir soutenu les révoltés et ses fils sont assassinés. C'est la fin de l'empire moghol.

     

    A partir de 1858, l'Inde devient une possession directe de la couronne britannique et la reine Victoria est proclamée impératrice des Indes en 1877 avec un vice-roi qui la représente en Inde, à Calcutta puis à New Delhi à partir de 1911. Une partie de l'Inde est sous contrôle direct des Britanniques et une autre reste sous le contrôle de princes indiens vassaux (562 en tout avec des états de tailles très diverses).

    Les Britanniques ont unifié l'Inde du nord au sud, crée un état et des transports modernes, proposé une langue commune l'anglais et développé les idées libérales en Inde. Il est donc évident que leur création se retourne contre eux et crée un mouvement nationaliste indien. Les Britanniques, même s'ils prennent la suite de l'empire moghol, ont créé l'Inde en tant qu'entité politique, ils ont favorisé, par l'unité politique créée, un sentiment national indien.

    Un mouvement nationaliste indien se développe dès la fin du XIXe siècle et obtient l'élection d'Indiens dans les conseils provinciaux en 1909. Gandhi, ancien avocat formé au Royaume Uni, promoteur de la non-violence est le grand leader de ce mouvement dès 1914, après son retour d'Afrique du Sud. Son parti, le Parti du Congrès (fondé par un Britannique en 1885) réclame l'autonomie dès 1906 et l'indépendance dès 1920. Pour arriver à ses fins, Gandhi prône la lutte non-violente contre le colonisateur. Mais tous les nationalistes ne suivent pas la voie de la non-violence. Bhagat Singh, un jeune anarchiste, commet des attentats et est pendu par les Britanniques en 1931, à seulement 24 ans. Subhash Chandra Bose lui va combattre aux côtés des Japonais durant la Seconde Guerre Mondiale et certains de ses partisans vont combattre avec les Allemands en Europe contre les Britanniques.

     

    Le mouvement nationaliste est pourtant fragile. A partir des années 1930, les élites musulmanes, héritières des grands empires musulmans, regroupées dans la Ligue Musulmane fondée en 1906 et qui a obtenu des Britanniques un électorat séparé pour les Musulmans en 1909, commencent à craindre une éventuelle domination hindoue dans la future Inde indépendante et songent à séparer de l'Inde les régions à majorité musulmane. C'est ainsi que naît l'idée d'un "Pakistan", le "pays des purs" en persan (les purs renvoyant aux Musulmans), distinct de "l'Hindustan" (le pays des Hindous). Le mot "Pakistan" est formé des premières lettres des provinces à majorité musulmane de l'empire : P pour Panjab, A pour Afghanistan (les zones de l'empire peuplées d'Afghans), K pour Kashmir (Cachemire), S pour Sind et TAN pour la fin de Balouchistan, "pak" signifiant pur et "stan" pays. A cela s'ajoute le Bengale lui aussi à majorité musulmane. Le premier a proposé un tel projet à la Ligue Musulmane est le grand poète persan et ourdou Iqbal. Ce mouvement est d'abord marginal mais le Parti du Congrès (composé en grande majorité d'Hindous), trop sûr de lui, fait preuve d'une grande maladresse en ne voulant pas partager le pouvoir avec la Ligue musulmane et les provinces à majorité musulmane (au début indifférentes à l'idée de Pakistan). Le Congrès veut un pouvoir fort après l'Indépendance, il ne veut donc pas avoir à marchander le pouvoir avec la Ligue musulmane au niveau central et avec les gouverneurs de provinces au niveau local. De plus, la pratique des électorats séparés instaurée par les Britanniques favorise la désunion entre Hindous et Musulmans. Les Britanniques acceptent le principe de la Partition. Les Musulmans indiens vont voter au niveau central pour la Partition et les provinces à majorité musulmane font de même. Dans ces conditions, la Partition est inévitable et l'homme qui va l'obtenir est Mohammed Ali Jinnah, chef de la Ligue Musulmane. Le Congrès est lui dirigé au moment de l’Indépendance par Nehru qui va devenir le premier Premier Ministre de l’Inde indépendante. Sa fille Indira Gandhi (son mari s’appelait Firoz Gandhi mais n’avait aucun lien de parenté avec le Mahatma Gandhi) puis son petit-fils Rajiv Gandhi (marié à une Italienne, Sonia) deviendront eux aussi Premier Ministre.

     

    Ainsi donc en 1947 quand les Britanniques quittent l'Inde, deux états naissent : l'Union indienne sur les provinces à majorité hindoue et la République islamique du Pakistan sur les provinces à majorité musulmane mais qui comprend deux parties séparées par le territoire indien, le Pakistan Occidental et le Pakistan Oriental (qui fera sécession en 1971 pour devenir le Bangladesh). Les provinces culturelles et historiques du Panjab et du Bengale sont coupées en deux. Beaucoup de gens prennent peur et d'horribles massacres ont lieu (500.000 morts). Les gens fuient les massacres et cela provoque le plus grand exode de populations de l'Histoire : 8 millions de Musulmans quittent l'Inde pour le Pakistan et 9 millions d'Hindous et de Sikhs quittent le Pakistan pour l'Inde. De plus, Inde et Pakistan n'ont pas réussi à s'entendre sur le sort de l'état princier du Cachemire (à majorité musulmane mais dont le prince hindou a fait le choix de rattacher son état à l'Inde) qu'ils se sont partagés mais qui a provoqué quatre guerres entre les deux pays depuis l'Indépendance. La Partition n'a de plus pas totalement réussi à résoudre les problèmes entre communautés religieuses dans le sous-continent contrairement à ce que souhaitait Jinnah. Les Musulmans sont presque aussi nombreux en Inde qu’au Pakistan, faisant ainsi de l’Inde le troisième plus grand pays musulman du monde (derrière l’Indonésie et le Pakistan mais devant le Bangladesh). L’Inde a d’ailleurs eu quatre Présidents de la République musulmans depuis l’Indépendance. Le Mahatma Gandhi a beaucoup protégé les Musulmans indiens et c’est pour cela qu’un fanatique hindou l’a assassiné en 1948. 

     

    C'est ainsi qu'est née le 15 août 1947, l'Union indienne dont le nom et la constitution sont adoptés officiellement le 26 janvier 1950. En 1947, les états princiers vassaux de la Couronne britannique devaient se rattacher soit à l'Inde soit au Pakistan en fonction de leur localisation, ils sont tout bonnement supprimés comme le plus grand, celui de Haiderabad (à majorité hindoue mais avec un prince musulman). Les comptoirs français sont annexés pacifiquement en 1954, par contre les comptoirs portugais sont pris par la force en 1961.

     

    N'oublions pas que l'Union indienne est un état laïc et démocratique qui avec ses 1,1 milliard d'habitants est le deuxième pays le plus peuplé du monde (et qui sera le plus peuplé d'ici 40 ans) et qui peut se vanter d'être la plus grande démocratie du monde, de faire partie des pays détenteurs de l'arme nucléaire, d'avoir la troisième plus grande armée du monde et d'être la 12e plus grande puissance économique mondiale.

     

    Par Marouane Ouled Amor,

    Etudiant en Histoire.