• Eviction Delhi

    Eviction Delhi 

     

    « Expulsion des habitants d’un bidonville de Delhi

     pour convenir aux  classes moyennes » :

     

     

    Ca y est, ils ont frappé !

     

    Il y a déjà des semaines que l'ombre du Malthusianisme planait sur ce bidonville.

     

    Eviction DelhiEn cette journée du mois d’octobre 2005 je me retrouve dans un bidonville de Delhi assistant à l’expulsion de sa population, à coups de bulldozers et à grand renfort policier. Quelques jours plus tôt je recevais dans ma boîte e-mail un message envoyé par un militant pour le droit des habitants des slums (bidonvilles) de la capitale indienne.

    J’apprenais que le bidonville près de Janta Falts, à Ashok Vihar phase III (Nord de Delhi), était sérieusement menacé d’expulsion mais que les habitants gardaient espoir. Espoir envolé au verdict de la cour suprême de Delhi qui a ordonné cet arrêté de démolition. L’auteur de cet appel à la mobilisation, Mohamed Mukhtar Alam,  est engagé dans la lutte contre toute forme d’exclusion en Inde.

     

    Je n’ai pas hésité à venir porter main forte aux associations qui supposaient s’interposer à cette éviction notoire. Mais à mon grand étonnement seul Mohamed est présent. J’en ai conclu que ce n'était pas forcément un désintérêt ou un désengagement de ces associations mais, probablement, le résultat de la stratégie des pouvoirs publics à arriver sur place quasiment à l'improviste pour faire face à le moins de résistance possible. Mais je me dis alors que ma présence sur ces lieux n’est pas conseillée, qu’allons nous faire à deux contre des grues et des bulldozers ? C’est peut-être dangereux ? Et puis, comment les habitants de ce bidonville et la police allaient accepter qu’une étrangère se mêle de ce qui se passe dans leur pays, leur ville[1].

     

    Eviction Delhi

    Après ces brèves interrogations posées à moi-même, je décide d’être le témoin de ce désastre humain, à défaut de pouvoir changer les choses, je veux les porter à la connaissance du monde !!! Donc Delhi veut se donner des grands airs de ville internationale en recevant les Commonwealth Games de 2010 et pour cela elle est prête à sacrifier les plus vulnérables, les pauvres ?

     

    Je prends des notes tout en marchant, mais le « spectacle » est effarant de cruauté. Je clique sur mon appareil avec discrétion, je n’ai pas le temps de réfléchir au réglage. Je clique et re-clique sur mon réflexe sans tentative artistique, et ce tant que possible.

    Je suis à la fois excitée par le fait d'être témoin d’un tel évènement (rarement photographié en Inde) et incommensurablement coupable d’être dans le rôle du « voyeur ». Position rappelée par la police qui refuse que je photographie et filme et par la population elle-même qui m'accuse, avec des regards apeurés,  de ne pas les aider.

    Peu à peu ma présence est acceptée de part et d'autre. Pour la police elle est négociée parce que  je porte mon badge de l'ambassade de France (rattachée au Centre des Sciences Humaines), je deviens ainsi une « intouchable » parmi les « intouchables » (Dalits). Pour prendre un peu de recul et me mettre au calme, je monte dans la cour de la seule bâtisse du slum à ne pas être menacée, un temple. D’ici je surplomb l’ensemble du bidonville et je peux mener mes interviews à l’abri de la vigilance méfiante de la police et choisir mes clichés.



     

    La population locale, elle, finit par m'adopter car lorsque mes larmes tombent en voyant des enfants perdus, des femmes qui crient, des personnes âgées paniquées, les habitants comprennent que je ne peux rien faire d’autre que compatir.

     

    Les premières images, attrapées avec pudeur, frappent la conscience humaine. On semble assister à un exode pendant une guerre civile. Il y a urgence mais d'où vient le danger ?

    Eviction Delhi
    Ni de pluies diluviennes ni d'un tremblement de terre.

    Ce sont les machines manipulées par l'homme qui font peur à ces personnes. Une vraie fourmilière humaine en effervescence, spectacle qui rend bien pâle le best seller de B.Werber (photos N°5 et N°6).

     

    J’aperçois d’abord des amas d’objets et de sacs de jutes entreposés à l’entrée du bidonville. Ces précieux trésors qui sont l’équivalent de nos déchets d’occidentaux sont gardés par les enfants ou les personnes âgées pendant que les femmes s’affairent à d’incessants allers-retours pour récupérer et rassembler tous leurs biens (photo N°1 à N°4)  en attendant qu’un camion de la municipalité se libère pour les transporter dans leur nouvel habitation (photo N°2)!  Les hommes, quant à eux, ont préféré se rendre à leur boulot, histoire de ne pas tout perdre le même jour !

    Et dans cet affolement général on discerne, néanmoins, quelques gracieuses femmes en saris. Rien ne semble les perturber, peut-être n'en sont-elles pas à leur première expulsion... Elles récupèrent tout, pas un morceau de tissu ou de fer rouillé ou même de tôle ondulée ne sera laissé à l'abandon (photos N°7 et N°8). Toute marchandise sera salvatrice pour la construction d'un nouvel abri.

     

    Ramesh un résident du bidonville voisin est venu voir ce qu'il se passe ici, il semble agité et pas la moindre trace d'un regret ou d'une brève compassion ne s’affiche sur son visage. Il dit même qu'il aurait aimé qu'il en soit de même pour son slum, du coup il aurait eu « cette chance » d’être logé ailleurs. Pourtant pas tout le monde ne sera relogé, certains n’ont même pas pu présenter une demande à temps car ils sont analphabètes. Et voilà que Mohammed M.A, s'est improvisé « écrivain public », il aide les personnes âgées, notamment, à remplir les formulaires de demande de relogement (photo N°10). Une queue longue de quelques dizaines de mètre s'aligne avec calme et soulagement.

     

    Amit Kumar est née dans ce bidonville (photos N°8 et N°9), actuellement scolarisé en primaire, il n’affiche pas de mine désabusée comme ses jeunes camarades. Au contraire, le sourire au coin des lèvres et l'oeuil malicieux il tente de voir le meilleur de cette situation. Il n'a que 12 ans mais il parle comme s'il avait l'expérience d'un quadragénaire. Il se dit que l'école où il va aller sera certainement meilleure et qu’il se fera de nouveaux amis. Petit à petit les autres enfants oublient d'être tristes, ils retrouvent leur gaîté et leur appétit. Certains vont même à l'école (photo N°7). L'urgence n'a plus rien d'urgent, la fatalité entraîne les adultes dans un pessimisme à peine dissimulé mais les enfants continuent à vivre, rêver et croire en des jours meilleurs.

     

     

    Les bâtiments d’habitation pour les classes moyennes, essaimés tout autour de ce bidonville semblent déserts, personne ni aux fenêtres ni aux balcons ! Ce n'est pourtant pas commun en Inde. Je réalise alors, que justement ces citadins très intégrés sont les principaux employeurs de ces « misérables » et indigents (qui occupent les tâches ingrates de domestiques, coursiers, chauffeurs et etc.) qu'il faut à tout prix sortir de la ville, ou du moins débarrasser de cet espace. Je vais plus loin dans ma réflexion, et si c’était eux, ces employeurs profiteurs qui avaient fait cette fameuse pétition et qui ont posé plainte afin de libérer cette zone sujette à une forte spéculation foncière ? Mon enquête me fait découvrir que mes suppositions étaient fondées, une école et une crèche vont être bâti sur cet espace au profit de ces classes moyennes ! Donc le bidonville est rasé pour convenir à la Middle class !!!!!!!!!!!

     

     

     

     

     

     



    [1] Ce qui m’a été reproché ultérieurement par un représentant de la municipalité qui m’a proposé d’aller m’occuper du phénomène de « l’embrasement des banlieues » en France, qui avait lieu au même moment !